jeudi 7 novembre 2019

Drogue et littérature | Alan Watts


Je regarde maintenant ce que d'ordinaire j'appellerais une broussaille inextricable – fouillis de plantes et de mauvaises herbes avec des branches et des feuilles en tous sens. Mais maintenant que prédomine en moi l'esprit qui organise et perçoit les relations, je me rends compte que la confusion ne vient pas de la broussaille elle-même, mais bien de la maladresse de ma pensée. En fait, chaque brindille est parfaitement à sa place, et le fouillis est devenu une arabesque aussi subtilement ordonnée que les célèbres entrelacs qui ornent les marges des anciens manuscrits irlandais. Dans le même état de conscience, j'ai vu un bois à l'automne, la multitude des branches nues et des rameaux se détachaient à contre-jour sur le ciel. Il ne s'agissait pas d'un fouillis, mais d'une dentelle ou du délicat guillochage, œuvre d'un joaillier enchanté. Une bûche à demi décomposée, couverte d'une rangée de champignons et de plaques de mousse m'apparaît comme aussi précieuse qu'une œuvre de Benvenuto Cellini – un assemblage, éclairé du dedans, de jais, d'ambre, de jade et d'ivoire, toute cette décomposition poreuse et spongieuse du bois semble avoir été ciselé avec une patience et un art infini. Je ne sais pas si c'est parce qu'un tel mode de vision organise le monde de la même manière qu'il organise le corps, ou si c'est simplement parce que la nature est ainsi formé.

Alan Watts, The Joyous Cosmology : Adventures in the Chemistry of Consciousness,
New York, Pantheon Books (Random House), 1962 (préface de Thimothy Leary);
Joyeuse Cosmologie. Aventure dans la chimie de la conscience,
traduction : Jacques Brosse, Paris, Fayard, 1971, p. 97.
The Joyous Cosmology est essentiellement consacré à trois drogues : la mescaline (principe actif du peyotl),
la psilocybine (extraite d'un champignon mexicain) et le LSD (« acide » dérivé de l'ergot de seigle).

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