O délicieuse et sinistre
drogue ! que tu sois la pâte épaisse, pesante, qui s’agglutine,
ou que tu te dérobe, quintessenciée, sous l’argent des pilules, –
dawamesk ou haschichine, – tu es terrible, Haschich !
Oui, tu es adorable ; oui, tu
donnes la langueur exquise ou la joie effrénée, la paix, comme
Dieu, l’orgueil, comme Satan ; oui, par toi, l’on oublie ! Hors
des médiocrités de la vie réelle, loin de la sottise rampante et
des devoirs étroits, l’homme par toi s’élève, avec les ailes
de la délivrance, dans les chimères et dans les victoires. Tu es la
fausse clé du paradis ! Si tu ne crées pas, tu transformes. Tu
élargis les horizons ; tu fais d’une rose une forêt de roses,
d’une masure un palais, un soleil d’une lanterne. Celui qui
t’appartiens baise la bouche de Béatrix sur les lèvres d’une
fille, retrouve, centuplée, dans de sales accouplements, la pure
extase du premier amour. Tu dis, toi aussi : « Vous serez comme des
dieux ! » et tu tiens ta promesse ; celui qui convoite l’or entend
s’écrouler autour de lui des niagaras somptueux de monnaies ;
celui qui aspire à la gloire des Dante et des Shakespeare, voit se
précipiter sur son passage l’enthousiasme éperdu des foules ; et
pour celui que tente le triomphe des chefs militaires, tu sonnes dans
les clairons héroïques et flottes dans les victorieuses bannières.
Catulle Mendès, Le mangeur de
rêve (1883)
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